Expositions


Impromptu(s)

Peinture et littérature / Roger Estève et Didier Goupil

Librairie L’échappée belle et Médiathèque Mitterrand, Sète, du 7 au 23 janvier 2020.


 Les pieds dans l’eau

Emmanuelle Jude
Texte de Didier Goupil

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« Dans la peinture d’Emmanuelle Jude, les ciels sont bleus et le soleil brille. Sur des fonds praline ou pistache, on y déguste des glaces avec gourmandise. On y prend après un bon bain de mer des douches éternelles. Au-dessus des têtes, les toboggans aquatiques aux couleurs vives dévalent les pentes et nous emportent dans la féérie presque tragique de leur mouvement sans fin.

Dans la peinture d’Emmanuelle Jude, c’est l’été. Le bel été. L’été parfait, tel qu’il ne s’exprime que dans le Sud, en période de vacances. »

Le texte dans son intégralité

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 La lumière, je l’ai trouvée dans les arbres

Roger Cosme Estève, Musée des Beaux-Arts de Gaillac, Avril 2013
Catalogue Didier Goupil

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Le Roi du Bois
Né à Néfiach, dans les Pyrénées-Orientales, Roger Cosme Estève est avant tout Catalan.
Mais être Catalan ne l’empêche nullement d’être en même temps Berbère, Hindou ou New-Yorkais.
Quand il séjourne en Pays Dogon, au flanc de la falaise de Bandiagara, il devient aussitôtDogon et ramène dans les filets de sa palette de longues et énigmatiques pirogues flottant dans le noir de fumée qui enveloppe les eaux épaisses du fleuve Niger.
Quand, pendant deux ans, il se retire dans la petite bourgade de Oualidia, face à l’océan souvent furieux il devient marocain et peint la lagune, le ciel d’orage ou les palmiers bleu azur qui bordent la route qu’empruntent les grands taxis qui se rendent à Marrakech.
Quand le hasard des rencontres l’amène à Tachkent, au coeur de l’Ouzbékistan, il devient Ouzbèque et griffonne sans fin des yourtes mongoles égarées dans la steppe venteuse.

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Roger Cosme Estève est un nomade, un peintre migrateur.
Qui vit ici et ailleurs.
Mais toujours le pinceau à la main.

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Sens propre / Sens figuré

Franciam Charlot, Espace Roguet à Toulouse, Mars 2014
Catalogue Didier Goupil

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Franciam Charlot se lève tôt…
Franciam Charlot se lève tôt. Très tôt. Après s’être rapidement débarbouillé, il passe dans son « atelier », à l’autre bout de l’appartement. C’est là, sur la table, ou à même le sol, que pendant des heures, il va vider sa « lie », comme il dit.
Franciam Charlot - BOIS_58x117_2003_2520À l’écouter en parler, c’est comme une purge, une vidange. Sans, il se cognerait sans doute la tête contre les murs. Alors, il peint… Il badigeonne des fonds, des horizons qui ressemblent à des murs où il dessine de coupantes silhouettes d’êtres informes, asexués, souvent mutilés ou estropiés, qui semblent tout droit sorties d’un fanzine un peu glauque, si ce n’est des égouts même de l’histoire…
Leurs bouches et les yeux grands ouverts ont vu l’horreur, ont traversé l’enfer, et ils semblent les derniers survivants, les ultimes rescapés d’une apocalypse sans nom.
Si au début leur présence peut heurter ou déranger l’oeil, ils deviennent à qui les fréquente étrangement familiers et un jour, en croisant le regard de l’un d’eux, on est à peine surpris de s’y reconnaître, pareillement perchés au-dessus du parapet et pareillement stupéfaits du cadeau empoisonné qui nous a été faits en naissant.
C’est que ce sont nos semblables, nos frères, que dans une sorte de peinture automatique, instinctive, délivrée de l’intellect et de ses constructions abstraites, Franciam Charlot ne cesse de peindre et d’engendrer.

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Michel Roty, À cœur ouvert

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Michel Roty n’est pas un homme comme les autres. Il n’y a pas un cœur qui bat dans sa poitrine. Il y en a plusieurs. Des dizaines de cœurs de toutes les couleurs et de toutes les humeurs. Des cœurs transis et rouges d’émoi, recouverts de tulle ou de coton, et d’autres fendus ou blessés, enfermés, grillagés. En un mot, empêchés. C’est qu’il n’est jamais simple d’aimer, que l’on ait un cœur ou que l’on en ait plusieurs.

Michel RotyMichel Roty n’est pas non plus un peintre comme les autres. C’est un peintre qui opère autant qu’il peint. Dans le petit atelier tout en longueur qui lui sert de clinique, quelque part dans la campagne aux alentours de Muret, Michel Roty ouvre, coupe et encolle. Il panse les plaies et suture les cicatrices qu’il a sans doute ouvertes dans un accès de rage ou de tristesse. Met à nu les organes. Extrait le cœur de son patient, qui n’est autre que lui-même. Un cœur chaud et violet, aux nombreux tentacules tendus vers le ciel. On dirait une pieuvre, une chaudière, une machine à vapeur prête à rugir. En fait, il s’agit d’une machine à remonter le temps. À faire surgir les visages de ceux qui nous ont précédés, et nous ont faits. Une machine qui rappelle à notre mémoire les souvenirs des communions ou des noces familiales. Qui pose du sépia sur nos paupières. Au Café de la Jeunesse, la nostalgie est reine.

Michel Roty n’est pas un peintre qui opère n’importe comment. C’est un peintre qui n’opère qu’à cœur ouvert. Qui ne nous parle que de nos amours, de nos peines et de nos pertes. Du déterminisme de nos destinées, de l’érosion du sentiment amoureux, de la violence de la séparation, de l’omniprésence du racisme. De ce cœur qui souffre. De ce cœur qui crie. De cette fente qui s’ouvre, toujours, toujours trop rouge, toujours trop grande, toujours trop pleine de sang. À la loterie de l’amour, nous rappelle-t-il, il n’y a pas que des gagnants.

De ce cœur qui espère également. Qui pose avec délicatesse ce ruban de dentelle entre le jeune homme et la jeune fille. Qui sème les boutons de chemisier de sa mère ou de sa grand-mère comme le petit Poucet ses cailloux blancs. Qui va chercher non seulement dans les albums familiaux, mais sur Internet ou au vide grenier du quartier, la tête à découper, le visage à extirper de l’océan des visages qui font l’humanité. Il y a une grande charité dans la geste de Michel Roty. Autant que dans l’opiniâtreté du chirurgien qui s’échine à sauver la vie qui est entre ses mains. Ou celle du sauveteur en mer qui à ses risques et périls tente de ramener à bord le marin en train de se noyer.

Entre ses doigts experts, les routes maritimes ont beau se transformer en réseaux veineux, la gaze et les cathéters relier les amants entre eux, et nous autres, pauvres humains, être réduits à des photos jaunies, fines comme du papier à cigarette, ou aux radios de nos crânes, de nos poumons et de nos squelettes, il y a dans les miniatures de Michel Roty, qui font songer aux enluminures des vieux annalistes, une espérance, une foi. Quelque chose qui ressemble à de la joie. Ces visages, sauvés de l’oubli comme le marin de l’océan déchaîné, sont les nôtres autant que nous sommes ceux de nos enfants. Peu importe qu’ils s’estompent, s’effacent, disparaissent. Et même que personne ne s’en souvienne. Ce qui importe, c’est que le cœur palpite. Qu’il ne cesse de palpiter.


Scott Neary, un Américain à Peyrusse

Scott Neary

Comme le personnage incarné par Gene Kelly dans Un Américain à Paris, Scott Peary est non seulement américain mais peintre et s’il connaît Paris, où il a exposé, c’est à Peyrusse-Grande, tout près de Marciac, qu’il a décidé en 2008 de s’installer. Pourquoi ? Comment ? Dans quel état d’esprit ? C’est ce que nous allons voulu savoir en allant à sa rencontre.

             Un enfant de la Beat Generation

Né en 1949 dans le Bronx d’un père qui installait les computers dans les entreprises et d’une mère au foyer, Scott Neary a grandi dans un univers ouaté, aimant et cultivé. Amateurs d’art et collectionneurs à leurs heures perdues, ses parents l’emmènent régulièrement dans les musées et l’initient très tôt à la peinture contemporaine. Après avoir étudié les Beaux Arts et le cinéma à l’Université, où ses amis ont pour noms Art Spiegelman, le futur auteur de Maus, Prix Pulitzer et figure emblématique de la BD underground, ou Bruce Benderson, auteur d’une Autobiographie érotique qui a reçu le Prix de Flore en 2004, le jeune Scott, qui a 19 ans en 1968, participe au grand rassemblement de Woodstock puis s’envole pour l’Europe. Avec deux amis, à bord d’une vieille automobile, il va à Amsterdam, à Paris, puis découvre l’Espagne, l’Italie, le Maroc, avant de rejoindre Ibiza, la Mecque à l’époque des enfants de la beat generation. Le Nouveau Monde lui semble alors bien loin et après quelques mois passés à Amsterdam, il s’installe à La Haye où il rejoint une coopérative d’artistes graphiques. Sa créativité débordante et son attirance pour les milieux underground le ramènent de nouveau à Amsterdam, qui ne cessera dès lors de lui servir de port d’attache. En 1974, le musée de la ville lui achète deux gravures, en 1978 il expose pour la première fois à la Galerie Balance et peu à peu il multiplie les collaborations, illustrant articles de magazines ou œuvres littéraires plus ou moins licencieuses. Scott est alors de toutes les avant-gardes et de toutes les expériences.

             Retour au Pays

            Quand aux débuts des années 80, Scott Neary décide de rentrer au pays, les temps ont changé. L’Art se passe dans la rue, le métro ou les entrepôts désaffectés et les nouveaux hérauts de l’avant-garde ont pour noms Keith Haring ou Jean-Michel Basquiat qui, sous l’œil bienveillant d’Andy Warhol, graffent à grands coups de bombes aérosols les murs de East Village. Que la peinture figurative ne soit plus guère de mise n’empêche bien sûr pas Scott Neary, dans son atelier d’Union Square, de rester fidèle à ses modèles de toujours, Georg Grosz ou Otto Dix, par exemple, les grands maîtres de l’expressionnisme allemand. Ses portraits, comme les leurs, sont réalistes mais toujours très colorés et très graphiques. On dirait qu’ils ont été croqués en bas de l’immeuble ou devant l’épicerie du coin. Il ne s’agit pas de modèles, mais de gens arrêtés dans la rue, de personnes « ordinaires » rencontrées pour de vrai ou au contraire inspirées de photographies que l’artiste a chinées ici et là. Scott Neary est un peintre qui aime les gens, qui les met « en couleurs ». Rien d’étonnant donc à ce qu’il se reconnaisse également dans le travail de David Hockney dont les toiles recouvertes d’une fine couche de peinture posée en à-plats sont très proches de la photographie ou du polaroïd. C’est d’ailleurs pour y réaliser des portraits que Scott Neary retrouve l’Europe et quand en 1985 l’entreprise Boussac lui passe commande pour une gamme de tissus, là encore il choisit de proposer un motif figuratif. Il expose de nouveau à Amsterdam, puis à Paris, rue Saint-André-des-Arts, à la galerie Trend Union. En fait, s’il réside toujours deux ou trois mois par an dans son appartement de St. Mark’s Place, quartier ô combien chaleureux et coloré de la Grosse Pomme, c’est aux Pays-Bas et en France où il exerce concrètement son activité de peintre qu’il passe l’essentiel de son temps.

            Scott Neary a-t-il lu Boileau ?

C’est grâce à un couple d’amis et de collectionneurs néerlandais qui se sont installés tout près de là, à Peyrusse-Vieille, que Scott Neary a découvert le Gers et plus particulièrement ce petit coin de campagne niché entre les côteaux. Lorsqu’on lui a appris qu’une vieille étable avec un atelier de maréchal-ferrant était à vendre dans le hameau voisin, Scott s’est interrogé. La maison n’était pas très chère, mais il fallait prévoir des travaux importants. C’était une ruine. Il y avait tout à faire et en particulier le toit.  « I’m crazy ! » s’est-il dit en signant le compromis de vente. Fou, en effet, il l’était, mais des paysages et du silence qui habitait les lieux ! Il faut dire que la place du village avec sa fontaine et ses vieilles pierres a tout, pour un américain, de l’éternel français ! Et que le jardin en terrasse offre un panorama sur la campagne alentour sans égal. Peu importe qu’aujourd’hui il soit encore encombré de gravats et de terre –l’artisan qui devait s’en occuper s’est malencontreusement cassé le bras en chutant de sa bicyclette -, demain s’y dressera un palmier, la vigne y poussera et rosiers et cerisiers y fleuriront. Depuis son emménagement, Scott a déjà beaucoup fait. Tout l’intérieur de la maison a été rénové et si l’ameublement très simple, très épuré, est à la limite du spartiate, l’artiste peu à peu y pose son empreinte. Sur un mur, on découvre le portrait d’un jeune new yorkais en tee-shirt rayé rouge et blanc qui pose avec son chien, sur un autre ou sur un rebord de fenêtre, un bouquet de jonquilles étincelantes sur un fond bleu piscine ou de petites sculptures qu’il a réalisées à partir de matériaux récupérés durant le chantier et qui font aussitôt penser aux constructions cubistes de Jean Arp. Peu à peu, Scott Neary prend racine et à le voir ainsi, veste en jean et baskets aux pieds, évoluer dans son nouveau cadre de vie, serein et tranquille, nul doute que bientôt il y cultivera son jardin le plus intime. Et même si durant ses séjours précédents il est lui arrivé de trouver la solitude de l’endroit bien trop forte –le village compte sans doute moins d’habitants que l’immeuble où il vit à New York -, il y a fort à parier qu’il ne tardera pas à faire siens les préceptes de Boileau, qu’il a lu peut-être ou ne tardera pas à lire si ce n’est le cas, tels qu’il les peint dans son Épitre au président Lamoignon :

Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies,
J’occupe ma raison d’utiles rêveries :
Tantôt, cherchant la fin d’un vers que je construis,
Je trouve au coin d’un bois le mot qui m’avait fui ;
Quelquefois, aux appas d’un hameçon perfide,
J’amorce en badinant le poisson trop avide ;
Ou d’un plomb qui suit l’œil, et part avec l’éclair,
Je vais faire la guerre aux habitants de l’air (…)
Ô fortuné séjour ! ô champs aimés des cieux !
Que, pour jamais foulant vos prés délicieux,
Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde,
Et connu de vous seuls oublier tout le monde !


Didier Goupil             didier.goupil1@orange.fr            06.63.90.47.98